J’aime à croire que votre santé ainsi que celle de votre soeur[1] est bonne.
Je suis déjà entièrement habituée à mon nouveau genre de vie; je vous avoue qu’il me plaît beaucoup; ma classe[2] me donne bien de la besogne, il est vrai, mais pas à beaucoup près autant d’inquiétude que celle que j’avais d’abord, ce qui fait que je rêve bien souvent à mes amis de Bruges; mais je voudrais quelqu’un à qui je puisse en parler, et bien certainement je ne trouverai personne ici; non pas que mes compagnes ne soient pas bien gentilles, Mme aussi est bien aimable, mais ce n’est pas ce qu’il me faut. Après le souper, qui a lieu à 8 heures, nous restons avec Mme et Mr. p2Je m’amuse toujours très-bien et je tâche de profiter de ce qui se dit. Parfois j’entends l’une de mes compagnes exprimer mes propres pensées, cela me fait plaisir, parce que je vois que les désirs qui me troublent parfois sont communs à toutes les jeunes filles. L’autre demoiselle est une énigme pour moi: elle est aimée à la folie par un jeune homme qui lui écrit très-régulièrement; eh! bien, elle est presque indifférente à son égard, je ne sais pas comment cela est possible, moi pour ma part, je ne pourrais résister à une marque d’amitié.
Mais Monsieur, ne trouvez-vous pas étranche que je vous parle toujours de la même chose? C’est que je compte sur ce que vous m’avez dit de me regarder toujours comme votre fille, je ne dois donc pas craindre de vous faire voir le plus intime de ma pensée.
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