Aujourd’hui tout en disant mes grâces j’avais une petite distraction une idée me passait par la tête et ce sont d’ordinaire de bonnes idées qu’on a alors, voici laquelle; je me demande : d’ou vient il donc que toute relation semble brisée entre ce bon ami d’autrefois professeur du seminair anglais[1] et moi petit professeur d’un petit collège flamand? Et je réponds en me disant que c’est ma faute et me propose aussitôt de réparer, c’est ce à quoi je m’attache immédiatement en vous donnant quelques unes de mes nouvelles. Il faut que je le dise comme c’est, j’ai éprouvé de grands regrets en quittant le collège de Bruges parce que je m’y trouvais déjà assez bien acclimaté, entouré de tous côtés de mes plus chers amis, commençant à être un peu à l’aise pour mes branches d’enseignement[2] rencontrant il est vrai de la part des élèves certains désagréments mais que l’on pouvait facilement excuser par la légèreté naturelle à leur âge et leur caractère brugeois et qu’avec le temps j’espérais bien pouvoir surmonter. Voilà autant de motifs qui m’attachaient au collège de Bruges, mais heureusement tous ces liens sont actuellement rompus et je me trouve parfaitement heureux aussi sur ce nouveau terrain où je me trouve jeté: j’en ai d’ailleurs les plus puissants motifs. Nous trouvons ici des enfants tels qu’on n’en trouve, j’en suis sur
, dans aucun collège: parfaitement dociles et appliqués à l’étude, toute parole qui sort de notre bouche est recueillie par eux comme un oracle, solidement pieux, presque à l’excès s’il pouvait y en avoir de ce côté d’une pureté et d’une innocence extraordinaires en un mot l’esprit du collège est excellent. Il est vrai que le nombre d’élèves est très restreint nous n’avons pas la quantité mais bien la qualité et une qualité tout à fait supérieure, aussi ces bons enfants ont ravi d’emblée toutes mes sympathies et m’ont instantanément remis du mal que j’éprouvais à quitter le collège de Bruges.p2Réellement, Guidon, on se tuerait, savez-vous, pour des étudiants comme ça: ils mériteraient bien de se trouver dans de meilleures conditions qu’ils ne sont, car comme vous le savez peut-être nous sommes excessivement pauvres en fait de matériel du collège, le conseil communal néglige cet établissement si important pour la ville et pour le diocèse (sur 7 en Rhétorique 6 vont au seminaire)[3] Il n’y a pas d’internat, les élèves sont forcés de demeurer auprès des bourgeois, nous mêmes nous sommes mis dans des conditions ou l’on ne peut presque pas être en contact immediat avec les élèves, c’est ce qui me désole. Oh si nous avions de l’argent nous éleverions bien vite un bâtiment ou nous logerions bien tous ensemble pêle mêle avec un bon nombre d’internes, nous ne devrions plus courir alors nous-mêmes a un demi quart de lieue du local des classes. Espérons contre l’espérance
– J’ai ici un surcroît de besogne d’avec ce que j’avais à Bruges car outre toutes les mathématiques comme à Bruges, j’ai encore a enseigner le latin à la Grande figure composée seulement de 4 élèves, j’ai une société littéraire à diriger et en outre un cours d’anglais, toutes choses qui me donnent du travail du matin au soir aussi je suis loin de m’en plaindre aussi longtemps que mes forces physiques me le permettent car comme je vous le disais tout à l’heure on se tuerait pour des enfants si remplis de la meilleure volonté du monde. A propos du cours d’anglais, je me promenais l’autre jour à la cour avec quelque uns de mes élèves de ce cours et je leur demandais s’ils s’exercaient parfois à parler ensemble en l’anglais: on me répondit que l’on n’osait pas s’aventurer sur ce terrain et ils manifestaient[4] le regret bien sincère de n’avoir pas au milieu d’eux des anglais pour s’exercer au langage. Cela m’a fait réfléchir, je me suis dit: il y avait des anglais à Roulers, il y en avait à Bruges, j’avais tant de regret de les voir quitter, pourquoi n’y en a-t-il pas à Thielt et où pourrait-il y avoir une meilleure pépinière pour le seminaire anglais qu’à Thielt? c’est dommage nous n’avons pas d’internat à Thielt, voilà la grande cause, mais cela est-il nécessaire? (une maison particulière sous la direction de Mr le Principal ne pouvait-elle pas suffire pour cela. Oh Oui certainement, je me serais tant plû au milieu p3de ces bons enfants d’albion que j’ai toujours affectionné et que j’affectionnerai toujours singulièrement. Si nous étions partis ensemble de Bruges les Anglais et moi, et que j’eusse été libre, j’aurais osé entreprendre de venir avec eux à Thielt et de les installer ici moyennant les soutiens pécuniaires des anglais qui n’auraient certainement pas manqué. Et les élèves anglais eussent été heureux ici avec ces bons élèves flamands car il n’y a pas de caractère plus condescendant et plus facile que le caractère Thieltois et ils eussent grandi en sagesse et en vertu au contact de nos pieux élèves et le collège de Thielt serait devenu une excellente pépinière pour le seminaire anglais comme il l'a été toujours pour le seminaire flamand. Voilà les reflexions que j’ai faites, Guidon, et que je vous soumets avec toute la candeur et l’ingénuité dont userait vis à vis de vous le meilleur de vos amis, mais ce ne sont après tout malheureusemt que des chateaux en Espagne, Plût à Dieu cependant que cela devinsse un jour réalité! J’aurais la plus grande confiance de voir réussir la chose il y a encore deux professeurs Mr Vanhooren et Mr Degrendele qui connaissent aussi l’anglais et je remarque que le couvent des Pères se peuple de plus en plus de novices anglais il y en a déjà 4 ou 5 et ils s’y plaisent admirablement. Oh Cher Guidon, si vous aviez une fois un jour ou deux de libre pour venir nous voir à Thielt je serais si heureux, si content; nous causerions ensemble, nous irions voir le couvent des Pères ensemble etc etc etc.
Il faut que j’aille en classe je voudrais encore longtemps m’entretenir avec vous comme il y a longtemps que nous ne nous sommes vus. Recevez donc Cher ami mes sentiments de respect et d’attachement bien sincères